Revenir au site

Le mensonge

Une contribution de Pierre Angotti

· Café Ennéagramme
broken image

Dino Fabrizzi, excellent vendeur de voitures de luxe, allie charme et aisance verbale. Cela
étant, Dino n’est pas Dino. Il est né à Sidi Bel Abbès et s’appelle Mourad Ben Saoud. Une identité
qu’il cache aux agents immobiliers, à sa compagne, à son patron, comme il cache à ses parents son
identité italienne et la foi chrétienne qu’il a adoptées en apparence. Hormis sa sœur et son ami
Charles qui lui a fait de faux papiers, tout le monde le prend pour un italien…
 

Le premier extrait de L’Italien, film réalisé par Olivier Baroux et présenté aux participants à ce
café, montre un échange entre les deux amis au cours duquel Charles dit à Dino que son mensonge
est ce qui lui pourrit la vie. « Mais je ne mens pas ! Je compose avec une société imparfaite» répond
Dino… Prisonniers du mensonge, nous avons beaucoup de mal à reconnaître que nous manquons à la
vérité. « Je refuse le mot mensonge. Il me heurte. Je verrai plutôt les mots « enjoliver »
ou « embellir » ou bien j’accepte l’idée de changer la réalité pour arriver à ce que je veux…». Nous
préférons dire que nous aménageons la vérité ou justifions notre mensonge (« Le mensonge a un
coté positif puisque j’invente ! » … « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ! »). Autre forme de
mensonge : celle d’imputer la responsabilité à un autre que soi (ici, la société imparfaite…)
Dans le deuxième extrait, sa secrétaire Nadia lui apporte un café qu’il boit tous les matins. La
tasse à la main, réalisant au dernier moment qu’il ne peut le boire car il fait le ramadan, il se met en
colère mais refuse d’admettre sa colère (« Mais non, je ne suis pas énervé puisque je ne suis pas en
colère. Je suis très calme»). Ne pas écouter ses émotions, être loin de soi est une forme de mensonge
à soi-même.
 

Mentir dans la durée suppose une capacité : celle de déjouer de nombreux pièges. Jusqu’au
jour où la tromperie est découverte. Le troisième extrait choisi est celui dans lequel Dino donne à sa
compagne le motif de la dissimulation : « Je ne me cherche pas d’excuses. J’avais juste peur de te
perdre ». Derrière un mensonge se cache souvent une peur.
 

Deuxième film présenté : Les Roseaux Noirs. Nicole Garcia, passionnée de sport automobile,
ancienne championne, dirige une écurie de course. Un crime a eu lieu dans le centre d’entrainement
des pilotes et le capitaine Marleau enquête… Prise d’un malaise, Nicole Garcia se rend chez son
médecin. « A priori, c’est un malaise vagal. Il faudrait faire un électrocardiogramme pour en être
sûr » lui dit-il après avoir pris sa tension. « Ça va bien alors ! » Et le médecin d’insister : « Ça ne va pas
bien. Là, c’est peut être un malaise vagal mais la prochaine fois… » Nicole Garcia refusant d’écouter
le praticien lui répond : « Il n’y aura pas de prochaine fois ! » Le médecin, qui est aussi son
compagnon dans la vie, la met en garde : « 16/9, c’est trop, beaucoup trop. Il faut que tu te reposes !
Si tu meurs, comment vas-tu les défendre ? Tu ne comprends pas que tu n’as pas le choix, qu’il faut
que tu te reposes maintenant ? » Figée dans sa position, Nicole Garcia, répond : « Je ne peux pas me
reposer, je ne peux pas ! » De même que l’on se ment à soi-même en n’écoutant pas ses émotions,
souvent par peur d’être distrait d’un objectif, le mensonge se niche aussi dans le refus d’écouter son
corps. Dans les deux cas, le mensonge est une souffrance : Vivre le dilemme (vais-je écouter mes
émotions ou vais-je poursuivre la réalisation de mon objectif ?) met la personne en tension. Et
refuser d’écouter son corps peut conduire à l’infarctus…

Le Crépuscule des Aigles sera le dernier film illustrant les contours que l’ennéagramme donne
du mensonge et qui vont bien au-delà de la définition que le dictionnaire propose pour ce dernier :
« Propos, assertion contraire à la vérité ». Le lieutenant allemand Bruno Stachel, vient de sortir de l’école de pilotage. Il admire l’as des as de l’aviation allemande et désire avoir, comme lui, la plus haute distinction militaire : la Blue Max (sur laquelle sont gravés les mots : « Pour le mérite »). Très bon pilote, Stachel accumule rapidement
les victoires et même lorsqu’il est abattu, il parvient à poser son avion. Il est légèrement blessé au
bras. Voyant tout le parti qu’il peut tirer de cette blessure, son général lui ordonne d’aller dans un
hôpital à Berlin car il sait que le peuple aime que ses héros soient vulnérables. Toute la mise en scène
organisée par le général est filmée afin d’être montrée à la population, susciter son émotion et la
galvaniser contre l’ennemi. Même s’il regrette de jouer un rôle, Stachel accepte. L’idée d’être
présenté comme un héros le pousse à se taire. Taire, est un synonyme du mot « dissimulation »…
 

Mensonge aussi quand je ne suis pas moi-même. Pour obtenir la reconnaissance d’autrui, je
joue un rôle, je fais semblant. Mais dans ce cas, qui suis-je ? Quelle est ma vraie peau ?
Le second extrait du film montre Stachel s’attribuant les deux victoires aériennes remportées
par Willi son compagnon d’escadrille mais qui, venant de mourir, ne peut en témoigner. Mentir aux
autres pour obtenir un résultat, ici pour obtenir la distinction militaire tant désirée, pour que son
mérite soit reconnu. À ce mensonge s’ajoute le mensonge à soi-même quand on a la croyance que
les réussites font toute la valeur d’un être humain.
 

Un temps d’expression individuelle est ensuite laissé à chacun pour répondre à l’une des
questions proposées : Dans la relation à vous-même (et aux autres), vous est-il arrivé, vous arrive-t-il

de manifester des sentiments autres que ceux que vous avez réellement (faire rire ou rire alors que cela ne correspond pas à ce que vous vivez l’instant), de minimiser un échec, de ne pas reconnaître que vous êtes fatigué (vous n’écoutez pas votre corps), d’agir plutôt que ressentir (suivre votre objectif plutôt qu’écouter vos sentiments), de réduire votre être à vos actes, de penser que vos réussites et les applaudissements que vous recevez font votre valeur ?

À la place du mensonge, développer la vérité, l’honnêteté, la sincérité, l’authenticité. C’est ce
que propose l’ennéagramme et dont témoigne un extrait du film de Tom Hooper, Le discours d’un
roi. Point d’orgue de la rencontre, Albert, second héritier de la couronne britannique après son frère
Édouard, livre à Lionel Logue, son orthophoniste, un émouvant récit de son enfance : « Vous êtes, lui
dit-il, le premier australien à qui je parle vraiment». Parler en vérité, c’est notamment oser se dire.
Oser dire, si le cadre dans lequel la personne s’exprime est protecteur, ses fragilités…

Pierre Angotti, Compiègne le 26 janvier 2019.